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RISQUE ACCRU DE CHUTES ET DE FRACTURES

Risque accru de chutes et de fractures chez les patients atteints de cataracte, glaucome ou DMLA : splendeurs et misères des big data

Une équipe d’investigateurs de l’Université de Manchester (Royaume-Uni) nous propose dans JAMA Ophthalmology une étude sur des « big data » qui vise à déterminer si les patients atteints de cataracte, glaucome ou DMLA présentent un risque accru de chute et de fractures. Ces 3 pathologies ont été sélectionnées car elles représentent les 3 causes les plus fréquentes de déficit visuel, affectant au moins 500 millions de personnes sur la planète, et qu’elles sont accessibles à un traitement médical ou chirurgical permettant de limiter leur évolution.
Chaque année, on estime à plus de 170 millions le nombre de chutes entraînant des séquelles à court ou long terme, et à 650 000 le nombre de décès induits par ces chutes.

Les investigateurs ont exploité la mine de données issues du codage diagnostic pour le National Health Services britannique, qui offre à tous les citoyens l’accès à des soins primaires gratuits, et les oriente vers un spécialiste. Les données de 2007 à 2020 ont été exploitées. Trois cohortes ont été constituées, comprenant des patients adultes (>18 ans) présentant l’un des 3 diagnostics (cataracte, glaucome, DMLA) ainsi que trois cohortes contrôles, par appariement de 5 témoins sans pathologie oculaire pour 1 cas (appariement sur le genre, l’âge et la localisation géographique).

Les chiffres issus de ces big data sont vertigineux : 410 000 cas de cataracte, 75 000 cas de DMLA et 90 000 cas de glaucome (arrondis au millier) ont été comparés à un total de 2 857 000 patients contrôles. L’âge moyen était de 74,3 ans. Le risque de chute et de fracture était bien augmenté chez les patients atteints de cataracte (+36% et +28%), de glaucome (+38% et +31%) et de DMLA (+25% et +18%). Au total le nombre de chutes par années, ajusté sur l’âge, était de 2217/100 000 personnes atteintes de cataracte, 1802/100 000 personnes atteintes de glaucome et 2551/100 000 personnes atteintes de DMLA.
Enfin, les auteurs ont poussé leurs analyses complexes jusqu’à extrapoler par articulation ou os touché le risque de fracture. Ces calculs puissants ont identifié un risque accru de fractures à tous les sites étudiés (hanche, avant-bras, rachis, crâne, pelvis, côtes, sternum et membres inférieurs) pour les patients atteints de cataracte, pour quasi tous (sauf côtes et sternum) chez les patients atteints de DMLA et pour certains de ces sites chez les patients atteints de glaucome.

La réponse à la question posée par cette étude peut sembler évidente, mais n’avait jamais été démontrée de façon indiscutable. Quelques études observationnelles sur le sujet avaient en effet rapporté des données contradictoires. Par exemple, une étude populationnelle australienne1 avait identifié un risque accru de chute en cas de glaucome (x 4) et de cataracte (x 1.5) mais pas en cas de DMLA, alors qu’une étude prospective canadienne2 avait démontré que la DMLA multipliait ce risque par deux, chez un groupe de femmes âgées de plus de 70 ans. Il peut s’agir de définitions différentes de la maladie, car la première étude date de 1998 à l’époque où l’OCT n’était pas utilisé de façon large comme aujourd’hui.

Néanmoins, pour spectaculaire que soient ces résultats, la puissance des big data se heurte aux défauts méthodologiques inhérents à un travail à si large échelle, où tout détail disparait dans la masse des données, et de par la nature des données primaires utilisées, non pensées pour cet usage précis. Ainsi, les auteurs nous apprennent au détour de la discussion que le caractère mono- ou binoculaire des diagnostics n’était pas connu, qu’aucune notion sur le niveau de l’acuité visuelle n’était accessible. Peut-être plus grave encore, aucun traitement correspondant au diagnostic ophtalmologique ne pouvait être connu (chirurgie de cataracte, particulièrement la période post-opératoire où la réfraction n’est pas adaptée, traitement hypotonisant, anti-VEGF, etc), limite que les auteurs écartent en arguant que de toutes façons une cataracte opérée peut se compliquer d’une opacification secondaire, qui n’aurait pas non plus été codée… donc que ces deux biais se neutralisent !

Enfin, les auteurs expliquent que les patients atteints de maladies oculaires présentaient de plus nombreuses comorbidités, notamment cardiovasculaires, plus de traitements médicamenteux, et enfin plus d’antécédents de chutes et de fractures précédemment à la période d’inclusion dans l’étude. Bien que partiellement contrôlés par l’appariement avec 5 contrôles par cas, et les analyses multivariées, ces biais montrent néanmoins la limite de résultats tirés de big data aussi titanesques.

En résumé, ce travail montre que des patients adultes ayant un diagnostic de cataracte, glaucome ou DMLA, sans pouvoir détailler plus finement le degré d’atteinte, ont un risque accru de chute ou de fracture. Il ne faut néanmoins pas oublier la nature multifactorielle de ces traumatismes, le déficit visuel étant un facteur certainement prépondérant mais pas unique, chez des patients aux nombreuses comorbidités.

1 Ivers RQ, Cumming RG, Mitchell P, Attebo K. Visual impairment and falls in older adults: the Blue Mountains Eye Study. J Am Geriatr Soc. 1998 Jan;46(1):58-64
2 Szabo SM, Janssen PA, Khan K, Lord SR, Potter MJ. Neovascular AMD: an overlooked risk factor for injurious falls. Osteoporos Int. 2010 May;21(5):855-62.

Tsang JY, Wright A, Carr MJ, Dickinson C, Harper RA, Kontopantelis E, Van Staa T, Munford L, Blakeman T, Ashcroft DM. Risk of Falls and Fractures in Individuals With Cataract, Age-Related Macular Degeneration, or Glaucoma. JAMA Ophthalmol. 2024 Feb 1;142(2):96-106.

Reviewer: Alexandre Matet, thématiques: épidémiologie, traumatisme, cataracte, glaucome, rétine médicale

Source Société Française d’Ophtalmologie

https://www.sfo-online.fr/

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